L’approche conceptuelle avec laquelle j’ai débuté ma pratique artistique, aussi bien en peinture qu’en écriture, se définit par le terme de « restauration spéculative ». Contrairement à la théorie classique de la restauration qui se concentre sur la préservation de la matérialité d’une œuvre sans toucher à son sens, ma démarche propose une reconstruction spéculative du sens même de l’œuvre, en particulier dans sa profondeur morale, doctrinale ou mystique, dans son sens figuré.
Le terme « spéculatif » prend ici une double signification. D’un côté, il renvoie à une méthode réflexive, un acte contemplatif qui propose des hypothèses abstraites et risquées, et de l’autre, il possède une connotation négative liée aux fluctuations du marché et à l’achalandage spéculatif. En somme, de la présentification de l’invisible à l’imitation de l’apparence
En m’inspirant de la philosophie contemporaine, notamment du réalisme spéculatif, j’affirme qu’il existe une réalité qui dépasse nos perceptions subjectives, une réalité qui ne se limite pas à la surface de l’objet, mais qui s’étend à des couches profondes, où se mêlent matière et valeurs. Cette vision remet en question la frontière entre restauration et falsification, un sujet crucial dans le processus créatif.
J’ai cherché à offrir une nouvelle lecture spéculative de la copie, de l’imitation et du faux. L’utilisation de la photographie, associée à la procédure de conservation et de restauration, devient un moyen de révéler cette réflexion crypto-visuelle. Ce médium établit une chaîne de temporalité de manière voilée, et l’acte de peindre lui-même devient la clé de cette chaîne. La peinture peut nous révéler les clés du mystère de l’art de la mémoire. Les singularités chromatiques sont les signes-transits de la matière de la peinture, c’est-à-dire la couleur qui fait passer chaque figure du passé au présent, à la présence ; qui ne “colore” plus les objets, mais fait irruption à l’intérieur et détruit le décorum de la visibilité, par le fait même de la manifestation.
Diana Hajji 